Comment passer du cliché de « Ma cité va craquer » à l’idée de « Ma cité va créer ».

Cela pourrait résumer en partie le combat qui anime la Wattrelosienne Emeraude Bensahnoun depuis ses 15 ans. Elle en a aujourd’hui 42, mais l’entrepreneuse garde cette énergie qui l’a longtemps mobilisée et poussée à créer pour les autres, surtout dans ce que l’on a encore coutume d’appeler « les quartiers », à Roubaix, Lille et ailleurs en région…

Portrait d'une entrepreneure qui n'aime pas les étiquettes

Elle est mal à l’aise avec les termes de « banlieues », « cité », « jeunes des quartiers », « minorités »… Parce que les étiquettes réduisent et qu’elles ont furieusement tendance à définir ce que la société acceptera que vous soyez ou fassiez. A 42 ans, Emeraude Bensahnoun a le sentiment d’avoir passé une partie de sa vie à refuser d’entrer dans des cases, et cela lui va plutôt bien. Engagée depuis son adolescence dans des associations, toujours avec l’envie d’agir avec et pour les autres, en particulier ceux dits « des quartiers », Emeraude a aujourd’hui créé sa propre entreprise et ne compte pas s’arrêter là.

S'engager autour de valeurs citoyennes

« Dans une vie, on peut vivre plusieurs vies : c’est un peu mon crédo ». Et c’est un peu le message que cette spécialiste de la réalisation et production audiovisuelle n’a cessé de délivrer à tous les jeunes qu’elle a eu l’occasion d’accompagner et d’épauler au travers de ses multiples engagements. Son père avait été le premier dès son enfance à lui inculquer cette philosophie d’ouverture, l’invitant à refuser les étiquettes. Pour elle, tout a commencé en aménageant à Valenciennes, elle trouve le culot de proposer d’être bénévole pour les actions culturelles de la Ville. Déjà, se souvient-elle aujourd’hui, les difficultés que connaissaient les habitants du quartier de La Sentinelle l’avaient interpellée. Par la suite, Emeraude n’a cessé de s’engager pour porter des valeurs de citoyenneté et de solidarité et faire en sorte qu’un maximum de jeunes trouvent les moyens d’abattre les frontières sociologiques. 

Sur les bancs de la fac

Alors qu’elle est à la fac, Université des Sciences Humaines et Sociales (Lille 3) en médiation culturelle et communication, des événements enflamment les cités de Paris et provoquent un émoi national. Le mouvement « Stop la Violence » nait dans la capitale, Emeraude lance et pilote l’association pour la région Hauts-de-France. « L’idée était de faire en sorte de contenir cette violence qui pouvait parfois naître dans les quartiers. A cause des étiquettes, des préjugés, des défauts de communication. Je me suis engagée, moi qui venais à la base de la campagne de Saint-Amand-les-Eaux puis de Valenciennes, pour porter la voix constructive des quartiers alors en pleine ébullition. C’était complètement fou, je me vois encore envoyer depuis Lille, 5 ou 6 bus pleins à craquer pour rejoindre les manifs à Paris ». Stop à la violence a continué à vivre, des emplois jeunes ont même été créés, et puis Emeraude a souhaité prendre encore d’autres chemins. « Avec des amis (Axiom, Saïd de Juste Cause…) de Roubaix et Lille, explique Emeraude, nous avions cette envie d’œuvrer pour sortir les jeunes et familles des quartiers, des cités comme on dit, mais je n’aime pas ce terme, à sortir de cette vision sombre qu’ils avaient sur leur condition et leur avenir. L’association évoluait vers une école de la Citoyenneté. A l’époque, on a vraiment fait tout le tour des quartiers défavorisés du Nord-Pas de Calais ».

La prise d'initiative pour les jeunes

Arrivée, après une formation en journalisme d’images à Paris pour Emeraude, l’opération Télé-Cités sur France 3. L’idée était d’apprendre aux jeunes à comprendre les codes de l’image et à les former à la production et réalisation vidéo en leur confiant un projet de reportage. « On leur donnait carte blanche, on leur disait « allez-y racontez-nous votre vie ici, ce que vous voulez ». Et on les aidait à prendre en main ce superbe outil qu’est la vidéo quand on sait comment s’en servir », raconte Emeraude Bensahnoun. En tout, ce sont plus de 250 jeunes qui ont été formés à la caméra. Une vraie fierté  pour elle qui sait qu’aujourd’hui parmi ces ex-stagiaires certains en ont fait leur métier ou sont même devenus comédiens.

Devenir entrepreneur

Emeraude Bensahnoun a monté sa boîte de production audiovisuelle depuis. Dans Projob Production, elle est devenue son propre patron. « Rien n’est impossible, insiste-t-elle. On peut « être des quartiers » comme on dit et ne s’interdire aucun rêve professionnel. Il y a toujours des gens et des structures pour vous aider et vous soutenir. Je pense à des Jean Duforest, Bruno Bonduelle, Dominique Riquet, des structures comme Ajir, Entreprendre pour Apprendre, BGE et toutes les autres plateformes de support. Créer son projet, sa propre entreprise, est une des clés de cette indépendance. Le tout est de trouver son identité et de rencontrer les personnes et structures qui vont vous aider à prendre la mesure de la réalité, même économique ».  

Lauréate FCE Grand Lille en 2013, elle vient d’obtenir le soutien d’Initiative France et plus particulièrement de sa délégation Initiative Lille Métropole Nord, Emeraude ne s’arrête pas là. Elle lancera bientôt avec ses associées, un nouveau projet baptisé « Le Grand Bain », un espace de co-working culinaire, un laboratoire pour les professionnels et amateurs éclairés en recherche de location ponctuelle avec un restaurant-concept. Le Grand Bain sera un tremplin pour de futur Chef en devenir. Et, juste retour des choses selon Emeraude, cela se passera bien sûr à Roubaix.